Cette chronique a initialement été rédigée pour LaRéférenceRH
INTRODUCTION
Parlons un peu des gestionnaires, ces personnes dont les rôles se situent entre la haute direction et le groupe plus vaste des employés professionnels, techniques et de soutien, toutes industries confondues. Souvent, ils ont été promus en raison de leurs capacités techniques, sans nécessairement posséder les compétences en leadership et en gestion qui leur seraient nécessaires dans leur nouveau rôle. On les a blâmés pour le manque de productivité des organisations, on a multiplié leurs responsabilités en divisant leur nombre, puis on a réalisé, surtout depuis la pandémie, à quel point leurs rôles de liaison et de facilitation sont importants. Que de changements, donc, auxquels ils ont collectivement eu à faire face. Et maintenant, en cette période de turbulences économiques et autres, on leur demande à nouveau de faire preuve d’adaptation. Les possibilités d’améliorations sont nombreuses. Choisissons trois thèmes porteurs d’impact.
I– ASSURER L’ALIGNEMENT DES OPÉRATIONS SUR LES OBJECTIFS STRATÉGIQUES
Les compétences liées à la pensée stratégique sont de plus en plus recherchées, pour ne pas dire indispensables, pour les dirigeants des organisations. Elles font aussi partie de ces nouveaux outils que les gestionnaires vont devoir maîtriser. Les causes en sont variées. Repensons simplement aux incertitudes économiques liées à l’inflation, aux perspectives de stagnation, voire de récession, et aux conflits géopolitiques qui mettent à mal les chaînes logistiques et génèrent des coûts et délais supplémentaires. Et c’est sans compter la pandémie et ce qu’elle a changé dans nos façons de travailler ou nos attentes relativement au travail, la présence grandissante de l’IA et ses questions éthiques, ou encore les polarisations sociales croissantes dans bien des pays et la pénurie de main‑d’oeuvre adaptée...
Tout ceci requiert à la fois d’être en mesure de conserver certains axes stratégiques, une adaptabilité et une agilité relativement à la façon d’atteindre les objectifs ou de saisir les opportunités. Il faut aussi être en mesure de donner un sens au travail, une raison de se lever le matin, une raison d’aller physiquement au bureau lorsque l’on occupe une fonction qu’il a été possible d’exercer à distance lors des confinements.
Fort bien, me direz-vous, mais alors, que faire ?
Premièrement, s’assurer de bien comprendre non seulement les priorités stratégiques, mais leur pourquoi. Au-delà de – ou via – l’atteinte des objectifs quantitatifs le plus souvent financiers qui figurent au plan stratégique, qu’essaie-t-on d’avoir comme impact ? Que veut-on changer par rapport à nos clients, à nos employés, à notre communauté ?
Deuxièmement, qu’est-ce que cela veut dire pour l’équipe que je dirige ? Comment puis-je aider mon équipe à comprendre ce que l’organisation essaie d’accomplir et comment y contribue‑t‑elle ?
Ensuite, quelles équipes peuvent affecter la mienne, d’où peuvent provenir les obstacles (humains, procédures, etc.), de qui ou de quelles équipes la mienne a-t-elle besoin ? Quels sont les autres objectifs de l’organisation qui peuvent faciliter – ou influer sur – ceux de mon équipe ? Quelles sont les possibilités d’entraide ?
La première catégorie d’adaptation se situe donc au niveau de la façon de penser, d’aborder les objectifs, de comprendre les opportunités qui nous arrivent ou que l’on crée, de même que les attentes.
II– PAS ASSEZ DE TEMPS POUR RÉCONCILIER GESTION ET COACHING
On a besoin de temps pour réfléchir stratégiquement, pour prendre un peu de recul et mieux déterminer ce que sont les priorités, et ainsi les différencier des urgences. Besoin de temps aussi, et beaucoup, pour guider et coacher ses employés, et puis pour tous ces suivis administratifs qui étaient auparavant assumés par les défunts rôles d’adjoint.e administratif.ve. Et foncièrement, besoin de temps pour répondre aux impératifs opérationnels et à leurs innombrables urgences.
L’on a donc un manque de temps basé sur la réalité que des responsabilités grandissantes sont partagées par un nombre plus restreint de personnes, en l’occurrence, les gestionnaires. Mais il existe aussi une autre raison où il est plus aisé, à l’échelle individuelle, d’avoir un impact. Il s’agit de la difficulté à prioriser et à allouer le temps en fonction des impacts potentiels. À titre imagé, c’est ce qui permet de distinguer l’enjeu qui fait que bien des gens vous demandent d’intervenir rapidement alors qu’un retard n’aurait qu’un impact modéré, d’un autre enjeu qui pourrait affecter la capacité de l’organisation à atteindre certains de ses objectifs stratégiques.
Pour s’adapter à cette deuxième catégorie d’enjeux, il faut donc :
Identifier adéquatement les priorités, en utilisant par exemple certains des outils et questionnements découlant du « design thinking » ;
Mieux gérer ensuite le temps, et prévoir une nouvelle façon de mieux maîtriser son agenda, par exemple, en envisageant le recours au « time boxing » ;
Décider de ce qui doit être fait relativement aux éléments mis de côté, ce qui inclut, mais pas sur une base automatique, la délégation – (re)voir la matrice d’Eisenhower pourrait s’avérer utile ;
Identifier les meilleures façons d’appuyer ses employés en connaissant mieux leurs besoins, leurs attentes, leurs préférences et les vôtres, ce qui est réaliste, et en misant sur les fondamentaux de la confiance vis-à-vis de chacun individuellement, de l’équipe dans son ensemble, et des autres parties prenantes.
Comme il est peu probable que chaque gestionnaire dispose du temps qu’il souhaiterait consacrer à chacun de ses employés, il va lui falloir trouver des façons de combiner des actions ou interventions collectives et des moments en rencontres individuelles pour maximiser son impact. Pour y arriver, pas de recette magique, mais plutôt une invitation et une nécessité pour chaque gestionnaire de maximiser ses forces et son authenticité. Car, il ne n’agit pas de faire intensivement les bonnes choses pendant une semaine, puis d’en laisser tomber la plupart, mais d’adopter des pratiques qu’il est réaliste de maintenir, la constance étant importante pour la confiance.
III– FAIRE VIVRE LA CULTURE
Pourquoi se préoccuper de la culture de l’organisation ? Rappelons simplement son importance pour aligner les efforts de l’ensemble des employés selon des façons de travailler suffisamment homogènes, dans tout ce qui a trait à l’expérience client et à l’expérience employé, notamment pour assurer la rétention des uns et des autres.
Pour les employés, les gestionnaires de tous les niveaux sont les personnes dont les comportements illustrent les valeurs et agissements attendus, tout ce qui collectivement représente la culture de l’entreprise. Et s’il est vrai que les cadres supérieurs sont responsables au premier titre de définir et faire vivre la culture désirée, le contact le plus proche, c’est généralement un gestionnaire. Pour une personne n’ayant que trop peu de temps pour livrer beaucoup de résultats, cela semble beaucoup demander.
Que faire ? Quels ajustements est-il possible d’apporter à sa pratique quotidienne ? Tout part bien sûr de deux points fondamentaux : la compréhension de ce que sont la culture, les valeurs et les comportements prônés par l’organisation et… l’adhésion à ceux-ci. En effet, lorsque l’on tente de promouvoir ce en quoi on ne croit pas, les autres le ressentent et, au minimum, nos efforts sont, dirons-nous, mitigés. Premier ajustement ? S’assurer d’être authentique et traduire dans nos propres mots ce que la culture désirée de l’organisation signifie pour nous et pour notre équipe.
Voyons quelques autres idées et réflexions :
Que faites-vous déjà qui est aligné sur la culture ? Soulignez-le à vos employés.
Vous faites de la reconnaissance à vos employés ? Ajoutez-y les éléments qui sont en lien avec la culture, en insistant sur ceux qui sont le plus à même de faciliter l’adaptation aux changements nécessaires.
Vous procédez à des rétroactions constructives ? Soulignez aussi les éléments en lien avec la culture et rappelez les comportements attendus.
Tout semble encore flou pour vos employés ? Suivez un atelier de travail avec eux pour définir ensemble comment vivre les valeurs et la culture.
CONCLUSION
Les gestionnaires jouent un rôle complexe, intense. Mal-aimés des considérations budgétaires, ils sont indispensables pour leurs employés. Dans un environnement aux multiples rebondissements à tous points de vue, dont l’interconnexion, rendant visibles les interdépendances, ils sont encore et toujours tenus de s’adapter. Et cette adaptation doit tenir compte des impératifs de l’organisation autant que des contraintes en tous genres auxquelles ils sont confrontés.
Le point de départ, c’est la compréhension de ce qui est nécessaire ou obligatoire (mission, plan stratégique, culture, objectifs) et du contexte (les parties prenantes et leurs attentes, et tout ce qui dans l’environnement interne ou externe pourrait affecter l’atteinte des buts visés). Ce n’est qu’ensuite qu’il est possible de cibler les éléments où un ajustement aura le plus grand impact, puis de déterminer les moyens réalistes et soutenables.
S’adapter ne prend pas nécessairement beaucoup de temps. Et si cela implique parfois des responsabilités supplémentaires, cela veut aussi dire qu’à l’occasion, il faut choisir ce qui doit être laissé de côté.
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